Avec toutes mes sympathies, Olivia de Lamberterie

Je redoutais un peu de lire Olivia de Lamberterie, j'affectionne sa personne depuis des années, j'avais peur de ne pas être aussi séduite par ses mots et de l'aimer moins. Erreur.
En aficionada du Masque et la Plume, la voix d'Olivia de Lamberterie m'était familière, se rapportait presque au noyau de l'intime bien qu'elle fut pour moi une étrangère. Pour me couper du reste du monde (souvent, donc), j'aime écouter et réécouter les podcasts en ligne, qu'importe l'endroit, je me sens à la maison dès lors que s'égrènent les notes de piano du générique intemporel de l'émission.
Mais malgré tout je ne connaissais rien d'elle, hormis sa voix et une certaine idée de ses goûts littéraires.
Un critique qui écrit un livre c'est toujours risqué, le meilleur moyen de se discréditer, et si la vie ne lui avait pas donné un sujet, si par un message venu d'outre-tombe, ce sujet ne lui avait pas donné un élan, probablement qu'Olivia de Lamberterie n'aurait jamais écrit.
Elle l'a fait et avec justesse.

Olivia revient dans ce livre sur ses souvenirs d'enfance, sur son rapport à la littérature, sur le mal qui rongeait son frère, la perte de celui-ci, sa difficulté à lire encore (ce qui pour elle signifie travailler) alors qu'elle a envie de s'absorber dans sa propre douleur et non plus dans les histoires des autres...

    Le monde s’était rétréci à la taille du cercueil de mon frère, il reprend ses dimensions. Redevenir perméables aux malheurs extérieurs nous rend un peu de notre humanité entamée
Évidemment il y a un creux dans ce livre, un creux qu'on ne peut pas combler, l'absence du frère, sa version de l'histoire, les réponses aux questions.
    Où es-tu?
Elle n'ose pas demander "pourquoi".
Pourquoi se suicide t-on quand on a une enfance heureuse, une famille qui nous aime et un travail qui nous passionne? Comment se réparer quand toutes nos béquilles ne suffisent pas à pousser droit?

    La vie c'est pas mon truc.
A t-il dit.
A quel moment la vie perd t-elle sa saveur enfantine? A quel moment le regard se voile t-il sur les photos? A quel moment l'apathie annihile toute notion de plaisir?
Peut-on guérir du mal de vivre ou faut-il le couper à la racine? Mais où germe t-il? Dans l'enfance? Dans les gènes? La dépression est-elle une fatalité inscrite en nous?
J'entendais la voix d'Olivia en lisant ce livre et maintenant elle a plus de consistance pour moi. J'ai découvert sa mélancolie, malgré une vie agitée, son travail de critique littéraire auquel elle fait maintes fois allusion. J'ai adoré qu'elle parle des lectures qui l'accompagnent (j'ai pris des notes) dans ses beaux jours puis dans sa tourmente, quand les romans ne parviennent plus à l'atteindre, écrasée qu'elle est par la réalité qui rend dérisoire chaque mot de fiction.
Elle raconte aussi l'enfance, par ricochet celle du frère: l'acolyte des jours heureux. J'aime ce thème par dessus tous, on en retrouve toujours l'esprit, même quand ces souvenirs n'ont rien à voir avec les nôtres. Il y a quelque chose de l'enfance, c'est comme ça, comme une odeur qui s'attache aux mots quand ils sont vrais, quand ils ont voyagé, comme un entassement de petites valises dans la soute de nos émois. 

Nos "transports" secrets.
Ces douces parenthèses, entrecoupées par le temps présent obscurci, parfois noir et souvent juste gris.
Olivia ne fait pas parler son frère, il se dessine en filigrane dans les souvenirs de ceux qui l'ont aimé et on le devine, mais pas tout à fait puisque personne n'a su lever le voile sur son cœur abîmé.

Oui, ce livre était un sacré pari. Réussi.


Claire à la Page.

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